Correspondência de Napoleão

 

 

1808, Abril, 3, Castelo de Marrac *

n.º 13718

 

Château de Marrac, 3 avril 1808

A Louis Napoléon, roi de Hollande

Monsieur mon Frère, l'auditeur D .... m'a remis il y a une heure votre dépêche du 22 mars. Je fais partir un courrier qui vous portera cette lettre en Hollande.

L'usage que vous venez de faire du droit de faire grâce ne peut qu'être d'un très-mauvais effet. Le droit de grâce est un des plus beaux et des plus nobles attributs de la souveraineté. Pour ne pas le discréditer, il ne faut l'exercer que dans le cas où la clémence royale ne peut déconsidérer l'oeuvre de la justice, que dans le cas où la clémence royale doit laisser après les actes qui émanent d'elle l'idée de sentiments généreux. Il s'agit ici d'un rassemblement de bandits qui vont attaquer et égorger un parti de douaniers pour ensuite faire la contrebande. Ces gens sont condamnés à mort; Votre Majesté leur fait grâce ! Elle fait grâce à des meurtriers, à des assassins, à des individus auxquels la société ne peut accorder aucune pitié ! Si ces individus avaient été pris faisant la contrebande, si même, en se défendant, ils avaient tué des employés, alors vous auriez pu peut-être considérer la position de leurs familles, leur position particulière, et donner à votre gouvernement une couleur de paternité, en modifiant par une commutation de peine la rigueur des lois. C'est dans les condamnations pour contravention aux lois de fiscalité, c'est plus particulièrement encore dans celles qui ont lieu pour des délits politiques, que la clémence est bien placée. En ces matières, il est de principe que, si c'est le souverain qui est attaqué, il y a de la grandeur dans le pardon. Au premier bruit d'un délit de ce genre, l'intérêt public se range du côté du coupable et point de celui d'où doit partir la punition. Si le prince fait la remise de la peine, les peuples le placent au-dessus de l'offense, et la clameur s'élève contre ceux qui l'ont offensé. S'il suit le système opposé, on le répute haineux et tyran. S'il fait grâce à des crimes horribles, on le répute faible ou mal intentionné.

Ne croyez pas que le droit de faire grâce puisse être exercé impunément, et que la société applaudisse toujours à l'usage qu'en peut faire le monarque : elle le blâme lorsqu'il l'applique à des scélérats, à des meurtriers, parce que ce droit devient nuisible à la famille sociale. Vous avez trop souvent et en trop de circonstances usé du droit de grâce. La bonté de votre coeur ne doit point être écouté, lorsqu'elle peut nuire à vos peuples. Dans l'affaire des Juifs, j'aurai fait comme vous; dans celle des contrebandiers de Middelburg, je me serais bien gardé de faire grâce.

Mille raisons devaient vous porter à laisser la justice faire une exécution exemplaire, qui aurait eu l'excellent effet de prévenir beaucoup de crimes par la terreur qu'elle aurait inspirée. Des gens du Roi sont égorgés au milieu de la nuit; les assassins sont condamnés; Votre Majesté commue la peine de mort en quelques années de prison : quel découragement n'en résultera-t-il point parmi les gens qui font rentrer vos impôts ! L'effet politique est très-mauvais ; je m'explique.

La Hollande était le canal par lequel, depuis plusieurs années, l'Angleterre introduisait sur le continent ses marchandises. Les marchands hollandais ont gagné à ce trafic des sommes immenses ; voilà pourquoi les Hollandais aiment la contrebande et les Anglais, et voilà les raisons pour lesquelles ils n'aiment point la France, qui défend la contrebande et qui combat les Anglais. La grâce que vous avez accordée à ces contrebandiers assassins est une espèce d'hommage que vous rendez au goût des Hollandais pour la contrebande. Vous paraissez faire cause commune avec eux, et contre qui ?... contre moi. Les Hollandais vous aiment; vous avez de la simplicité dans les manières, de la douceur dans le caractère; vous les gouvernez selon eux; si vous vous montriez fermement résolu à réprimer la contrebande, si vous les éclairiez sur leur position, vous useriez sagement de votre influence; ils croiraient que le système prohibitif est bon, puisque le Roi en est le propagateur. Je ne vois pas quel parti pourrait tirer Votre Majesté d'un genre de popularité qu'elle acquerrait à mes dépens. Assurément la Hollande n'est point au temps de Ryswick, et la France aux dernières années, de Louis XIV. Si la Hollande ne peut suivre un système politique indépendant de celui de la France, il faut qu'elle remplisse les conditions de l'alliance.

Ce n'est point au jour la journée que doivent travailler les princes; mon Frère, c'est sur l'avenir qu'il faut jeter les yeux. Quel est aujourd'hui l'état de l'Europe ? L'Angleterre, d'un côté; elle possède par elle-même une domination à laquelle jusqu'à présent le monde entier a dû se soumettre ; de l'autre, l'Empire français et les puissances continentales qui, avec toutes les forces de leur union, ne peuvent s'accommoder du genre de suprématie qu'exerce l'Angleterre. Ces puissances avaient aussi des colonies, un commerce maritime; elles possèdent, en étendue de côtes, bien plus que l'Angleterre. Elles se sont désunies; l'Angleterre a combattu séparément leur marine; elle a triomphé sur toutes les mers; toutes les marines ont été détruites. La Russie, la Suède, la France, l'Espagne, qui ont tant de moyens d'avoir des vaisseaux et des matelots, n'osent hasarder une escadre hors de leurs rades. Ce n'est donc plus d'une confédération des puissances maritimes, confédération, d'ailleurs, qu'il serait impossible de faire subsister à cause des distances et des croisements d'intérêts, que l'Europe peut attendre sa libération maritime et un système de paix qui ne pourra s'établir que par la volonté de l'Angleterre.

Cette paix, je la veux par tous les moyens conciliables avec la dignité et la puissance de la France; je la veux au prix de tous les sacrifices que peut permettre l'honneur national. Chaque jour, je sens qu'elle devient plus nécessaire; les princes du continent la désirent autant que moi; je n'ai contre l'Angleterre ni prévention passionnée, ni haine invincible. Les Anglais ont suivi contre moi un système de répulsion: j'ai adopté le système continental beaucoup moins, comme le supposent mes adversaires, par jalousie d'ambition, que pour amener le cabinet anglais à en finir avec nous. Que l'Angleterre soit riche et prospère, peu m'importe, pourvu que la France et ses alliés le soient comme elle.

Le système continental n'a donc d'autre but que d'avancer l'époque où le droit public sera définitivement assis pour l'Empire français et pour l'Europe. Les souverains du Nord maintiennent sévèrement le régime prohibitif; leur commerce y a singulièrement gagné : les fabriques de la Prusse peuvent rivaliser avec les nôtres. Vous savez que la France et le littoral qui fait aujourd'hui partie de l'Empire, depuis le golfe. de Lion jusqu'aux extrémités de l'Adriatique, sont absolument fermés aux produits de l'industrie étrangère. Je vais prendre un parti dans les affaires d'Espagne, qui aura pour résultat d'enlever le Portugal aux Anglais et de mettre au pouvoir de la politique française les côtes que l'Espagne a sur les deux mers. Le littoral entier de l'Europe sera fermé aux Anglais, à l'exception de celui de la Turquie; mais comme les Turcs ne trafiquent point en Europe, je ne m'en inquiète pas.

Voyez-vous, par cet aperçu, quelles seraient les funestes conséquences des facilités que la Hollande donnerait aux Anglais pour introduire leurs marchandises sur le continent ? Elle leur procurerait l'occasion de lever sur nous-mêmes les subsides qu'ils offriraient ensuite à certaines puissances pour nous combattre. Votre Majesté est plus intéressée que moi à se garantir de l'astuce de la politique anglaise. Encore quelques années de patience, et I'Angleterre voudra la paix autant que nous la voulons nous-mêmes.

Considérez la position de vos États; vous remarquerez que ce système vous est plus utile qu'à moi. La Hollande est une puissance maritime commerçante; elle a des ports magnifiques, des flottes, des matelots, des chefs habiles, et des colonies qui ne coûtent rien à la métropole; ses habitants ont le génie du commerce comme les Anglais. N'a-t-elle pas tout cela à défendre aujourd'hui ? La paix ne peut-elle pas la remettre en possession de son ancien état ? Sa situation peut être pénible pendant quelques années : n'est-elle pas préférable à faire du monarque hollandais un gouverneur pour l'Angleterre, de la Hollande et de ses colonies un fief de la Grande-Bretagne. L'encouragement que vous donneriez au commerce anglais vous conduirait à cela. Vous avez sous les yeux l'exemple de la Sicile et du Portugal. Laissez marcher le temps. Si vous avez besoin de vendre vos genièvres, les Anglais ont besoin de les acheter. Désignez les points où les smogleurs anglais viendront les prendre; mais qu'ils les payent avec de l'argent, et jamais avec des marchandises. Jamais, entendez-vous ? Il faudra bien enfin que la paix se fasse ; vous signerez en son lieu un traité de commerce avec l'Angleterre; j'en signerai peut-être un aussi; mais les intérêts réciproques seront garantis. Si nous devons laisser exercer à l'Angleterre une sorte de suprématie sur les mers, qu'elle aura achetée au prix de ses trésors et de son sang, une prépondérance qui tient à sa position géographique et à ses occupations territoriales dans les trois parties du monde, au moins nos pavillons pourront se montrer sur l'Océan sans craindre l'insulte; notre commerce maritime cessera d'être ruineux. C'est à empêcher l'Angleterre de se mêler des affaires du continent qu'il faut travailler aujourd'hui.

Votre affaire de grâce m'a entraîné dans ces détails; je m'y suis livré parce que j'ai craint que vos ministres hollandais n'aient fait entrer de fausses idées dans l'esprit de Votre Majesté.

Je désire que vous réfléchissiez sur cette lettre, et que vous fassiez des sujets qu'elle traite l'objet des délibérations de vos conseils; enfin que vos ministres impriment à l'administration le mouvement qui lui convient.

Sous aucun prétexte la France ne souffrira que la Hollande se sépare de la cause continentale.

Quant à ces contrebandiers, puisque la faute a été commise, il n'y a plus à revenir sur le passé; je vous conseille seulement de ne pas les laisser dans les prisons de Middelburg ; c'est trop près du lieu où le crime a été commis; renvoyez-les dans le fond de la Hollande.

 

(*) Note:

Cette lettre, dont on n'a pas retrouvé le texte authentique, est reproduite ici d'aprés le Mémorial de Sainte-Helène, Tome VI, p. 262-271 de l'édition de 1823. - Il faut lire probablement un autre nom que Château de Marrac - Napoléon n'est arrivée à Marrac, près de Bayonne, que le 17 avril.

 

Fonte:
Correspondence de Napoléon Ier, Tome XVI , 
Paris, Imprimerie Impériale, 1864,
págs. 553 - 557

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